Julianne Heagy

julianne heagyC’était le mardi, 21 mai 2019. En me réveillant, je me rappelai que c’était le mardi d’après la longue fin de semaine et que j’avais plein de choses à rattraper au travail. Je me réveillai aussi en sachant que c’était notre 31e anniversaire de mariage et le jour où notre fille Justine allait passer la première partie d’un examen d’autorisation d’exercer la pharmacie en deux parties.

[Prière] « Seigneur, merci d’avoir mis Blair dans ma vie. Merci pour 31 ans de hauts et de bas et surtout d’avoir pu relever tous les défis et remporter toutes les victoires dans la prière. Je prie en particulier pour Justine ce matin et je vous demande de lui donner la paix, Seigneur. S’il vous plaît, aidez-la à trouver facilement les réponses aux questions de l’examen. Je vous demande également de garder Jared en sécurité au travail aujourd’hui. Je prie au nom de Jésus.” À la fin de ma prière, j’entendis le bruit de la voiture de notre fils Jared qui arrivait en ville et  partait travailler. Je lui dis silencieusement bonjour et je lui souhaitai une bonne journée.

Pendant que je m’habillais, je me déplaçais tranquillement dans le condo. Blair avait reçu un diagnostic de cancer du poumon six ans auparavant et il dormait jusqu’à 9h30, la plupart des matins. Il était au stade IV, mais il s’en tirait remarquablement bien. Il avait une attitude incroyablement positive.

En tant qu’agente des relations avec les membres au siège social de notre coopérative locale, c’était une période de l’année très chargée : nous mettions fin à deux grands événements, nous faisions des présentations de bourses d’études, nous faisions beaucoup de demandes de dons pour des événements d’été et nous négocions de la publicité avec notre nouvelle station de radio locale. Mon bureau était toujours rempli, mais j’aimais travailler sur plusieurs projets en même temps. Ce jour-là, j’avais tellement à faire que je décidai de manger mon déjeuner à mon bureau pour pouvoir partir à 17 heures pour notre souper d’anniversaire. La salade du resto au rez-de-chaussée convenait parfaitement.

À un moment donné au cours de la matinée, je me demandai comment l’examen de Justine était en train de se passer et je lui envoyai une autre petite prière.

13h39 Texto de Justine : « J’ai fini. C’est tout ce que je peux dire. Je vais faire la sieste. »

La journée était vraiment été longue. Mes yeux commençaient à me déranger. Il y avait des carrés de lumière dorée dans mon champ de vision.

17h19 Comme je ne me sentais pas bien, j’ai pensé envoyer un message texte à Justine pour amener son père à la coopérative afin qu’il puisse conduire ma voiture à la maison. J’écris à Justine : « Pouvez-vous venir me chercher avec papa à 17h30. J’ai du retard ».

Justine, « D’accord. Ça va? »

Moi, « Je ne sais pas »

Je savais que Blair et Justine allaient arriver sous peu, alors je décidai de communiquer avec les groupes pour leur faire part des demandes de dons que j’avais approuvées. Le premier était un don de cartes-cadeaux, mais je n’arrivais pas à trouver les mots « cartes-cadeaux » pour les écrire sur le formulaire de demande de don. Je me dis que la journée avait été longue et que j’allais y revenir. (J’ai examiné ce dossier après plusieurs mois et j’y avais écrit cinq lettres au hasard à l’endroit où je notais normalement ce que j’avais donné et la date). Le prochain don était un don de boeuf. Je décidai que c’était plus facile d’appeler le groupe, alors je composai le numéro. Quelqu’un répondit. Je dis « Bonjour, c’est … » mais je ne pus pas trouver le mot suivant. J’avais l’impression d’être dans une grande pièce sombre et vide, et je n’arrivais pas à trouver quoi que ce soit — pas un mot, pas une pensée, pas une idée, c’était le vide total. J’entendis la personne à l’autre bout du fil dire « Vous êtes de la coopérative? »

« Mhm » Je fus tellement gênée de ma réponse. Quelle terrible représentation de notre coopérative.

« Au sujet de notre demande de don? »

« Mhm »

« Allez-vous faire don du bœuf? »

« Mhm »

« Merci! »

Pendant tout ce temps, j’étais très gênée et voulais raccrocher, mais je me disais que ce serait encore plus impoli que de répondre avec une marmonne. Je voulais pleurer ! Je levai les yeux et vis Blair entrer dans le bureau administratif et se diriger vers mon bureau. Je me sentais très déséquilibrée et je me disais déjà qu’il me serait difficile de descendre les escaliers jusqu’au rez-de-chaussée et jusqu’au stationnement.

Les dames aux bureaux administratifs nous souhaitèrent un joyeux anniversaire et un bon souper. Je souris et hochai la tête, et je fis même un signe de la main au moment où nous partions. Je savais que j’avais besoin de l’appui de Blair pour descendre l’escalier. Justine attendait dehors dans la voiture et elle m’amena directement à l’hôpital. Si je pouvais parler, je leur aurais demandé de m’emmener à la maison pour dormir. Je croyais que je ne me sentais pas bien et j’étais fatiguée.

Je fus tellement heureuse de pouvoir m’allonger sur le lit de l’urgence de notre hôpital local. Il y avait beaucoup d’activité autour de moi et je reçus des perfusions dans les deux bras. Comme j’avais travaillé à l’hôpital local de façon intermittente pendant plus de 20 ans, je connais la plupart des membres du personnel infirmier, et je constatai qu’ils étaient inquiets. Lorsqu’on me demanda mon nom, je n’avais pas à trouver la réponse. Ensuite, lorsque je pus y penser, je n’arrivai pas à ouvrir ma bouche. Je ne pouvais pas prononcer mon propre nom. Je me concentrai avec toutes mes forces, puis dis : « Julianne ». C’était épuisant! Je voulais me reposer. Il n’y avait pas de pensée dans ma tête, pas de peur, pas de doute, seulement le désir de me reposer dans le calme vide.

Notre médecin de famille arriva et il y eut encore de l’agitation. On me demandait sans cesse mon nom. J’entendis quelqu’un dire que ma tension artérielle était de 215/90.

J’avais l’impression que l’ambulance était arrivée, mais aussi que je venais d’arriver.

Le trajet normal de 60 minutes jusqu’à Moose Jaw n’avait duré que 40 minutes.

Il y eut un autre tourbillon d’activité pendant que l’on préleva du sang et que je fus précipitée pour un tomodensitogramme.

Le scan indiqua qu’il ne s’agissait pas d’une hémorragie cérébrale, alors j’ai obtenu l’autorisation de recevoir le traitement ATP, de dissolvant de caillots.
J’ai dû m’être endormie de temps en temps parce que tout ce dont je me souviens, c’est que les infirmières avaient dit à Blair et à Justine que je devais rester au lit pendant 48 heures, car j’avais un risque élevé de saignement à la suite de l’ATP.

La tomodensitométrie a également montré que j’avais plus de 70 % d’occlusion de mon artère carotide gauche. Le médecin traitant nous a expliqué que j’avais été référée à un chirurgien à Regina pour une endarterectomie gauche :on allait m’ouvrir le cou et l’artère carotide gauche, on allait la nettoyer et ensuite mettre un patch sur la carotide avant de me refermer de nouveau.

J’ai subi la chirurgie et j’ai été renvoyée chez moi quelques jours plus tard.

Cela fait maintenant 19 mois que j’ai subi l’accident vasculaire cérébral. J’ai beaucoup appris depuis.

Quelques ressources que j’ai trouvées très utiles sont « Parlons d’AVC – Guide d’information pour les survivants et leur famille », publié par la Fondation des maladies du cœur et de l’AVC, et le guide « Retour au travail à la suite d’une lésion cérébrale acquise », que j’ai trouvé en ligne, sur le site web de Lésions cérébrales Canada.

En tant que massothérapeute agréée à la retraite, j’ai eu accès à de nombreux types de traitements. Je connaissais très bien certains d’entre eux alors que d’autres, nouveaux, m’ont été recommandés par d’autres thérapeutes. Parmi les thérapies que j’ai reçues, le reiki, la thérapie acoustique, le massage, le yoga, la réflexologie, etc., le traitement qui m’a le plus aidée à soulager mon anxiété a été la réflexologie émotionnelle offerte par un thérapeute de Regina. Je le recommande fortement.

Parlant d’anxiété, l’un des meilleurs conseils de mon ergothérapeute fut de trouver des activités comme des casse-têtes, le tricot ou d’autres travaux manuels que mes yeux me permettaient de faire. Cela permet de garder l’esprit dans le moment présent. En se concentrant sur le projet, on passe moins de temps à se préoccuper de l’avenir. Cela fonctionne!!

L’une de mes plus grandes frustrations est mon incapacité à lire pendant plus de 20 minutes. Je suis une lectrice passionnée et j’ai toujours adoré apprendre. Il m’a probablement fallu environ un an pour découvrir à quel point il était facile d’accéder à des livres audio. J’utilise l’application Libby. J’écoute aussi des balados qui m’inspirent et me motivent.

Le fait d’être dans de grands groupes ou dans des magasins me fait tourner la tête. Je m’y sens très déséquilibrée. Parfois, c’est si sérieux que j’ai l’impression de perdre le contrôle de ma vessie. S’il y a quelque chose de positif dans la pandémie COVID, pour moi, c’est que je peux commander mes produits d’épicerie en ligne, sans culpabilité, et les faire livrer chez moi. Un autre truc que j’ai appris, c’est que si je n’ai besoin que d’une seule chose dans un magasin, j’appelle à l’avance pour voir si le produit est disponible. S’il l’est, je demande s’ils peuvent le mettre de côté à la caisse et je leur donne l’heure d’arrivée prévue. S’ils n’en ont pas le temps, je demande le numéro de l’allée où se trouve l’article pour pouvoir entrer et sortir rapidement du magasin.

Même avant la COVID, rester à la maison et en sécurité était une réalité pour moi, surtout juste après mon accident vasculaire cérébral, lorsque mon équilibre était un problème. Avant, j’étais très indépendante et je voyageais beaucoup pour le plaisir et les affaires. Au cours des 19 derniers mois, je n’ai conduit que dans notre petite ville ou à quelques reprises chez notre fille, à 15 minutes de chez nous. Je trouve que les fossés roulent plus vite que la route et je ressens une fatigue extrême, même après un court trajet en voiture.

Sur le plan financier, nous avons dû faire des pieds et des mains pour obtenir de l’aide. J’ai une formation en assurance, alors cela aurait dû être  facile, mais le processus mental de demande était épuisant. Voici quelques conseils : si vous avez une police d’assurance vie, vérifiez si vous avez une clause d’exonération de prime; si vous avez une assurance contre les maladies graves, vous devrez peut-être prouver que les effets résiduels de déficience cognitive durent plus de 30 jours, alors parlez à votre ergothérapeute pour faire une évaluation cognitive; si vous présentez une demande de prestations d’invalidité du RPC, sachez que le traitement prend beaucoup de temps (pour moi, cela a pris sept mois avant l’approbation et huit mois avant le début des paiements).

Ne baissez pas les bras! C’est difficile et frustrant. Je sais qu’il y a des jours où l’on se sent un peu tiraillé, mais essayez de trouver des choses pour lesquelles vous pourriez être reconnaissant. Certains jours, on doit faire semblant jusqu’à ce que cela arrive, mais ça finit par arriver.

Acceptez de l’aide. C’est un point difficile pour la plupart d’entre nous, surtout si nous sommes habitués à profiter de notre indépendance. Sachez que votre ou vos soignants veulent ce qu’il y a de mieux pour vous. Pour ma part, je semble avoir perdu certains de mes filtres et je dis des choses que je n’aurais pas dites dans le passé. Parfois, cela me met dans l’embarras et d’autres fois cela me donne un sentiment d’autonomie. J’en suis venue à accepter que « c’est ce que c’est ». N’oubliez pas que votre soignant le plus proche reçoit probablement le gros de vos commentaires et de vos frustrations. Prenez le temps de vous en excuser et de lui dire à quel point vous l’appréciez.

Donnez-vous la permission d’évoluer vers un ‘nouveau vous’. Oh, comme je me suis poussée à essayer de retourner au travail, à ma vie d’avant. J’ai essayé de surmonter des maux de tête et des troubles visuels simplement pour pouvoir rester à l’ordinateur et éviter d’avoir le cerveau en compote. Environ cinq mois après mon accident vasculaire cérébral, j’ai dû prendre mon ordinateur et le mettre dans une boîte, pour ne plus l’utiliser. Mes thérapeutes et conseillers m’avaient tous dit de me reposer et de laisser mon cerveau guérir. En fait, j’avais l’impression de me reposer parce que je n’avais plus mon emploi, mon travail occasionnel à l’hôpital et mon entreprise à domicile. J’étais déterminée à lire parce que j’étais trop têtue pour croire que je pourrais être heureuse sans la lecture. Je vois maintenant à quel point je taxais mon cerveau car j’avais peur de le perdre si je ne le stimulais pas et ne le faisais pas travailler. Je peux vous dire une chose certaine : les choses vont changer, vous allez changer aussi et vous retrouverez la paix et la joie.

Je remercie Lésions cérébrales Canada de m’avoir donné l’occasion de vous faire part de certains aspects de mon parcours. J’espère sincèrement que cela sera utile aux autres.