Jonathan M

Je m’appelle Jonathan M et je vis avec une lésion cérébrale depuis 1995. Tout a commencé en août 1995, à Rivière-du-Loup, au Québec. Nous étions trois étudiants de retour à l’Université Acadia, à Wolfville, en Nouvelle-Écosse. Nous étions en route de Georgetown, en Ontario, pour terminer notre dernière année à l’université. Ma vie a changé à jamais ce jour-là, tard le soir dans le noir, sur la route transcanadienne près de la frontière du Nouveau-Brunswick. Un pneu de voiture a éclaté et, lorsque la voiture a basculé, j’ai été éjecté de la fenêtre latérale. Ma ceinture de sécurité n’était pas bouclée parce que c’était mon tour de dormir et que j’étais allongé derrière.

L’aide est arrivée rapidement, car comme par hasard, il y avait un hôpital de traumatologie près du lieu de l’accident à Rivière-du-Loup. Vers minuit, l’hôpital a téléphoné à ma famille. On a demandé à ma famille de se rendre à la Rivière-du-Loup le plus rapidement possible alors que j’étais dans le coma (6/15 sur l’échelle de Glasgow). Ils sont venus de Georgetown, de Charlottetown, de l’Île-du-Prince-Édouard, et de Victoria, en Colombie-Britannique, sans savoir à quoi s’attendre ou ce qui les attendait. Personne ne savait que j’avais subi une lésion cérébrale, ils savaient seulement qu’ils devaient s’y rendre le plus rapidement possible.

Nous avions eu une vie sans souci jusqu’à ce moment-là. Mes parents, mes deux frères et moi habitions à Georgetown, une petite ville située à moins d’une heure à l’ouest de Toronto. J’avais eu des copines, j’avais joué au basketball et j’avais passé la majeure partie de mon temps libre sur ma planche à roulettes ou à écouter de la musique. Toute mon enfance et mes 22 années de vie ont été complètement effacées après ma lésion cérébrale. Ma vie n’avait donc pas seulement changé : elle avait pris fin. Tout m’avait été enlevé.

Je suis revenu sur terre en 1995, et j’y étais complètement étranger. Je ne connaissais aucune couleur, aucune forme ou quoi que ce soit d’autre. Heureusement, la musique était restée, ce qui a grandement contribué à ma réadaptation. Ma famille et mes amis, bien sûr, ont pu combler les innombrables lacunes de ma mémoire. Les médias sociaux m’ont aussi beaucoup aidé à reprendre ma vie en main. Pas complètement, parce qu’il y manquait 22 ans, mais le plus possible. Tout le monde partageait des histoires sur ma jeunesse, ce qui était pour moi un mystère total et ressemblait plus à une illusion ou à l’histoire de quelqu’un d’autre. Petit à petit, j’ai pu reconstituer assez d’histoires de mon passé pour me rendre compte que l’accident ne m’avait pas vraiment changé, qu’il avait simplement endommagé certaines parties.

Mes parents et mes frères ont toujours été là pour moi. J’ai dû les rencontrer comme si c’était la première fois et avoir la certitude absolue qu’ils savaient ce qui m’aiderait. Ils n’étaient pas trop présents, mais plutôt toujours là lorsque j’avais besoin d’aide. Ils me disaient que le raton laveur que j’avais presque laissé entrer chez nous n’était pas le chien du voisin, mais un animal un peu plus dangereux. Ou que cette crème à raser n’était pas de la crème fouettée et je ne devrais pas la mettre dans ma bouche. J’étais obligé de croire que ces personnes que je ne reconnaissais pas (mes parents) s’occuperaient de moi. Tout était entièrement étranger, alors j’ai dû espérer que cette « famille » savait ce dont j’avais besoin et la meilleure façon de l’obtenir.

Je me souviens d’une histoire qui remonte aux premiers jours de ma convalescence, lorsque j’ai été chargé de ramasser une cassette de musique pour le trajet jusqu’à Annapolis Royal. Mes parents et moi sommes entrés dans le magasin et ma mère m’a rappelé que j’avais le droit de choisir n’importe quel groupe. Une fois que nous nous sommes rendus à la section de cassettes du magasin, j’étais comme un poisson hors de l’eau. Il y avait beaucoup de groupes différents et je n’avais pas la moindre idée de quoi choisir. J’ai vu un membre du personnel (que j’ai reconnu en raison de l’uniforme) et je me suis dit qu’elle pouvait m’aider à choisir. « Excusez-moi, quelle cassette devrais-je acheter? » j’ai demandé.

Elle m’a regardé comme si j’étais un extraterrestre, et je suppose que j’étais très proche de l’être, à ce moment-là. « Je ne sais pas, qu’est-ce que vous aimez? »

« Je ne sais pas », lui ai-je dit, tout à fait honnête. Je ne savais pas ce que j’aimais ou ce que je voulais.

« Vous pourriez prendre la dernière cassette de Nirvana, ils ne feront plus de musique maintenant que Kurt Cobain est mort », m’a-t-elle dit.

« Kurt Cobain est mort? » Cela s’était produit il y a plus d’un an, mais je n’en avais aucune idée, et c’était un exemple de sentiment d’être « complètement perdu ». J’ai appris à accepter ce sentiment et à vivre avec, mais c’était l’une des dures réalités des lésions cérébrales. Quand nous sommes arrivés chez ma grand-mère et que j’ai dit à mon cousin Duncan que Kurt Cobain était mort, il a fait de son mieux pour ne pas me regarder comme si j’avais trois têtes.

Duncan et moi avons passé en revue mon énorme collection de musique par la suite, et quelque chose de choquant s’est produit. Pour une raison que je ne comprenais pas à l’époque, il y avait un tas de CD et d’enregistrements hip hop dans ma collection. Sans y penser à deux fois, j’ai pris chaque cassette ou CD qui ressemblait à un album de « rap » et je l’ai mis dans un sac pour le donner à mon cousin. Des centaines de dollars de musique ont été mis dans des sacs et donnés; j’étais certain que ce n’était pas ma musique. Environ un an plus tard, j’achetai de nouveau tous ces albums, mais à ce moment-là, j’étais absolument certain qu’ils ne m’appartenaient pas.
Ma lésion cérébrale s’est aussi accompagnée d’une agnosie visuelle, ce qui ajoute à la difficulté de ma vie déjà compliquée. L’agnosie visuelle, c’est quand on peut voir des choses, mais on ne peut pas nécessairement les comprendre en les regardant. Il y a quelques années, mon épouse est venue me rendre visite au travail, et je n’avais aucune idée qui elle était avant qu’elle ne parle. Elle s’était lissé les cheveux.

Ayant moi-même subi une lésion cérébrale traumatique, j’ai trois suggestions à vous faire au sujet de mon long parcours épuisant et frustrant – et de celui de ma famille.

1. Soyez patient – Le personnel médical comprendra ce point plus facilement que les patients, mais il est logique (faites-moi confiance). Faites de petits pas et célébrez vos réussites au fur et à mesure. Prenez note de ce que vous faites au fur et à mesure (vous pouvez ne pas penser que c’est une « grosse affaire » sur le coup, mais c’est une grosse affaire). Utilisez donc un carnet de route ou un horaire quotidien pour noter vos progrès. Cette observation de vos réalisations vous aidera à voir des progrès et à continuer d’être patient.

2. Prenez des pauses – Lorsque vous êtes fatigué ou épuisé, vous devez apprendre à vous accorder du temps. Évidemment, tout le monde veut améliorer sa situation, mais il faut être patient envers soi-même. Si vous pouviez écouter un disque, prendre une marche, ou jouer à un jeu, vous prendriez mieux soin de vous-même. Vous êtes beaucoup moins enclin à jeter la serviette et à vous reposer si vous prenez des pauses. Une fois que vous vous êtes éloignés de ce qui peut être une réalité intense, reprenez le travail sur votre projet d’auto-construction. Si vous persistez lorsque vous êtes fatigué, cela ne fonctionnera pas. Le projet ou la tâche ne sera pas fait aussi bien que possible, et si vous insistez trop, vous deviendrez soit encore plus frustré par votre situation et/ou commencerez à abandonner. Ne lâchez jamais. Ce n’est pas un test qui peut affecter vos notes : c’est votre nouvelle réalité. Aucun vaisseau spatial magique ne viendra du ciel pour tout ramener à la normale. En 1995, j’étais en si mauvais état que les médecins et les infirmières seraient étonnés de me voir aujourd’hui, mais j’ai pris des pauses et je n’ai jamais abandonné. Il n’y a pas de date d’échéance pour la réadaptation : c’est un processus comme un voyage.

3. Soyez heureux – Ce sera le conseil le plus difficile à comprendre et le plus susceptible de vous frustrer. Essayez toutefois de rechercher le positif dans la vie, appréciez la beauté qui nous entoure. Ce n’est pas à moi de deviner ou d’essayer de comprendre comment vous serez heureux. Vous savez comment être heureux. Ce pourrait être des casse-tête qui vous rendent heureux, de l’art, des livres d’images, observer les oiseaux, manger une orange, peu importe! Pour moi, ça a été la musique – elle avait la capacité de m’emmener dans un endroit beaucoup plus heureux. Donc, quand votre monde semble trop lourd ou trop intense, utilisez vos billets en première rangée pour un endroit plus heureux.

Il ne s’agit pas d’un conseil, mais d’un fait qui risque de se perdre dans le brouillard de la réadaptation. Plus tôt vous vous en rendrez compte, mieux vous serez préparé à ce qui pourrait vous attendre. Il y a 22 ans, ma famille et moi n’aurions jamais prédit jusqu’où j’irais. Nous n’aurions jamais deviné que j’allais  terminer mon baccalauréat ès arts à l’Université Acadia (avec des délais supplémentaires, bien-sûr), et que j’allais trouver un emploi. Ou que je rencontrerais une belle femme, que je me marierais et que j’aurais deux garçons. Que je fonctionnerais très bien comme un père au foyer. Ou qu’après une dizaine d’années de travail acharné, je deviendrai un auteur publié avec mon premier livre « Mind the Gap » qui décrit mon long voyage vers la santé.

Nous ne pouvions pas non plus prédire que, plus de 20 ans après ma lésion cérébrale, je recevrais un diagnostic de cancer dans trois parties différentes de mon corps. Heureusement, après une intervention chirurgicale et un traitement intense de chimiothérapie, j’ai appris récemment que je n’avais plus le cancer.

Grâce aux leçons que j’ai apprises au cours des deux dernières décennies et à un réseau de soutien composé de membres de ma famille et d’amis, je suis toujours ici. Je ne suis pas certain d’où je serais sans eux.

Je vous remercie d’avoir lu mon histoire et je vous souhaite bonne chance avec la vôtre.

Pour en savoir plus sur mon expérience, visitez mon site web : www.jonathanmcmurray.com